
Dans ce 1er numéro de votre rubrique « Questions aux Experts », initiée par African School of Économics, (ASE), le Professeur Thierry ADOUKONOU, Directeur de l’Ecole de Santé publique et d’Epidémiologie (ENATSE) de l’Université de Parakou explique le faible taux de contamination à la COVID-19 en Afrique. Il clarifie également la position des scientifiques par rapport à l’efficacité des traitements antipaludiques.
ASE : Professeur Adoukonou, comment expliquer le faible taux de contamination de la COVID19 en Afrique contrairement aux prévisions de l’OMS?
Pr Adoukonou : Depuis son avènement en Chine dans la province de Hubei en Décembre 2019 l’infection par le nouveau coronavirus s’est progressivement répandue à travers le monde. D’abord en Asie puis en Europe et en Amérique et depuis Février elle est signalée en Afrique. Toutefois les indicateurs épidémiologiques ne sont pas les mêmes partout. Rappelons que la propagation d’une infection par un agent pathogène contagieux dans une population est fortement liée au facteur R0 bien connu en épidémiologie.
Ce nombre n’est rien d’autre que le nombre de personnes que peut potentiellement contaminer un sujet infecté. En effet la vitesse de propagation dépend de facteurs liés au virus mais aussi liés à l’hôte et à l’écosystème (environnement). Pour répondre spécifiquement à la question on s’attendait à une augmentation exponentielle des cas en Afrique étant donné les conditions de vie et le système sanitaire précaires dans cette région du globe. L’Afrique compte plus d’un milliard d’habitants soit presque 3 à 4 fois la population américaine (USA) mais enregistre moins de cas que les USA. Par ailleurs le nombre total de décès au 16 Mai 2020 en Afrique (environ 2630) est très loin des plus de 88.000 décès enregistrés aux USA.
Le faible taux de dépistage ne peut seul expliquer car, en rapportant le nombre de cas positifs au nombre de sujets dépistés ou à la population, l’Afrique semble encore relativement épargnée. Plusieurs raisons pourraient expliquer :
- La population africaine est relativement plus jeune (plus de 70% de la population a moins de 30ans) contrairement aux occidentaux mais des enquêtes sérologiques très larges en population générale permettraient de mieux préciser ces données ;
- La maladie touche et plus sévèrement les sujets âgés ;
- Possible rôle du climat (non encore formellement démontré). A ce niveau remarquons une forte disparité même à l’intérieur de l’Afrique. L’Afrique intertropicale semble plus épargnée que le Maghreb et l’Afrique du sud avec des climats plus doux ;
- La possible sensibilisation à des antipaludiques (cette région du monde concentre plus de 90% des cas de paludisme). Les antipaludiques ayant montré un effet sur le virus in vitro ;
- Les comorbidités (diabète, maladie cardiovasculaires,…) seraient moins fréquentes, la population étant relativement jeune ;
- Aussi une possible susceptibilité génétique ;
- Le retard de survenue de l’infection dans cette région (étant mieux préparé et sensibilisé à l’infection ) ;
Ces hypothèses méritent d’être confirmées par des études épidémiologiques et écologiques.

ASE : Les traitements contre le paludisme ont-ils un effet préventif sur la COVID19 ?
Pr Adoukonou : La chloroquine et l’hydroxychloroquine ont un effet sur les virus à membranes. En effet la chloroquine in vitro inhibe la réplication virale en bloquant l’acidification du pH endosomal mais aussi agirait sur la cascade de réactions inflammatoires (orage cytokinique). Ces effets sont presque les mêmes avec d’autres antipaludiques. Ceci est prouvé in vitro sur plusieurs virus (Dengue, Chikungunya, SARS-Cov-1…). Mais tous les essais cliniques réalisés dans ces infections sont négatifs voire délétères.
Actuellement les données scientifiques validées ne plaident pas en faveur de l’efficacité de la chloroquine et de ses dérivés sur la COVID-19 mais son inefficacité est non clairement prouvée. Même si des études observationnelles semblent montrer une réduction de la charge virale on ne sait pas si c’est l’histoire naturelle de la maladie ou un réel effet du traitement. Aucun essai clinique de grande puissance n’a prouvé l’efficacité de la chloroquine ou d’un quelconque antipaludique dans le traitement de la COVID-19. Cela impose la grande prudence d’autant plus que ce traitement n’est pas dénué d’effets secondaires cardiaques et visuels. Sur le plan préventif il n’est pas scientifiquement justifié de parler de chimioprophylaxie. Aucune étude aujourd’hui n’a montré qu’une quelconque prise d’antipaludiques protégerait de la maladie.
En science nous avons besoin de preuve avec les standards reconnus. On ne doit pas verser dans du dogmatisme. Nous ne devons pas non plus sous le prétexte d’une quelconque urgence faire de n’importe quoi et bafouer les règles éthiques essentielles que sont le principe de bienfaisance, de non malfaisance et de liberté. Rappelons que dans plus de 80% des cas l’infection est asymptomatique et que seul moins de 5% des personnes infectées présenteront des complications nécessitant une réanimation. Le taux d’effets indésirable n’est pas négligeable avec ces médicaments. Par ailleurs l’attention doit être attirée sur le mésusage de ces médicaments qui pourraient induire des résistances. N’oublions pas que l’OMS attire l’attention sur les risques liés à leur utilisation intempestive et que l’Afrique pourrait faire face à l’émergence de résistance surtout pour le paludisme.
En conclusion aucune donnée scientifiquement prouvée aujourd’hui n’autorise un traitement préventif par les antipaludiques.
Propos recueillis par Rodrigue Tokpodounsi / African School of Économics