Prisonnières de leur pauvreté, de nombreuses femmes vivant à la périphérie du village de Tchatchégou, à 250 km au nord de Cotonou, réduisent la pierre en gravier pour subvenir à leurs besoins vitaux. Ces ‘’concasseuses’’ vivent un drame sans fin et la payent au prix d’une vie qui se consume à petit feu dans des conditions de travail hallucinantes.
En cet après-midi du mois de février, un soleil de plomb darde ses rayons sur le village de Tchatchégou. Au milieu d’une mine ravagée par le désespoir et qui fait penser à un bagne, un visage se détache. Souriant, le regard concentré sur sa bassine, ce visage féminin, sur lequel dégouline de la sueur, contraste avec l’hostilité du paysage environnant. La soixantaine révolue, le visage chétif auréolé par trois entailles moyennes sur chaque joue, Yérima aurait mérité une retraite paisible. Mais en tant que veuve et chef de famille, elle n’a d’autres choix que de donner l’exemple en allant chercher dans le concassage, de quoi faire vivre les siens.
Assise sur une pierre, à l’abri des rayons de soleil, sous une tôle ondulée soutenue par un bois de fortune, elle raconte que « son travail consiste à casser des pierres pour en faire du gravier, qui sera par la suite revendu aux entrepreneurs du bâtiment. »
Comme elle, à l’ombre des arbres ou de leurs abris de fortune, des femmes, des enfants et quelques hommes sont occupés à travailler. Certains cassent des pierres, d’autres tamisent du sable, et les plus jeunes transportent des cailloux dans des bassines pour en faire des tas. Tout autour, s’érigent des amas de gravier.
« Casser des pierres est pratiquement la seule activité rentable dans cette région où la terre, aride, ne produit plus rien depuis des années » confie Yérima avant de se lever pour aller aider son petit-fils de 8 ans qui peine à mettre une bassine remplie de graviers sur la tête.
C’est le quotidien des habitants de Tchatchégou et de ses environs. Chaque jour de nombreuses femmes viennent à la carrière. Elles achètent de gros blocs de pierre destinés à être cassés auprès de certains ouvriers qui dynamitent la roche quelques kilomètres plus loin. Elles transportent ensuite les blocs de pierre jusqu’à la carrière, où elles s’évertuent ensuite à les concasser avec des marteaux. Un travail éprouvant et considéré comme dangereux par l’Organisation internationale du travail (OIT).
Des risques d’accidents et de maladies graves
« Quand tu passes toute la journée au soleil, à casser des pierres, le soir, quand tu rentres, tu as des courbatures partout dans le corps. Or il te faut encore te préparer à faire la cuisine » raconte Yérima, avec une mine déconfite, signe de l’exaspération qu’elle ressent à accomplir cette double tâche qui caractérise le quotidien de toutes les femmes de cette petite contrée du BENIN.
« Moi, à force de me baisser et de me relever constamment, j’ai très mal au dos et à la hanche. J’en arrive même à ne plus sentir la fatigue » ajoute Maman Boni, sa voisine. Elle, qui refuse d’envoyer ses deux enfants à l’école au motif qu’ils seraient plus utile à la carrière qu’assis dans une salle classe. « Je les emmène toujours avec moi pour m’aider dans le travail, sinon à moi toute seule, je ne saurai faire tout ce travail et trouver assez d’argent pour les nourrir ». Elle racontera plus tard avoir été délaissée par sa belle-famille quelques mois après le décès de son mari, lors d’un accident de travail. Un éboulement causé par le dynamitage d’une roche en serait la cause. « N’étant plus capable de payer leur scolarité et de prendre en charge les dépenses quotidiennes, j’ai dû leur demander de venir travailler avec moi. Pourtant je suis consciente que ce n’est pas bon. Mais je vais faire comment ? » explique –t – elle le visage embué de larmes, qu’elle prend soin d’effacer rapidement avant qu’elle ne s’écrase sur son visage jeune mais parsemé de cicatrices.
Maman Boni a 24 ans. Elle est tombée amoureuse dans la fleur de l’âge mais le destin l’a très tôt privé de son amoureux. Elle s’en remet à Dieu et poursuit son travail, honteuse de s’être montré ainsi vulnérable devant ses enfants.
Yérima, quant à elle, se plaint d’une toux persistante qui l’affaiblit depuis 3 mois déjà. « Nous inhalons de la poussière tout le temps. Et malgré le nombre de ‘’lait peak’’ que je bois, la toux s’accentue. Je ne sais même plus quoi faire. On ne gagne pas beaucoup d’argent ici et pourtant j’investis encore presque tous dans les médicaments.»
Un revenu modeste pour une survie quotidienne
Sur le terre-plein se tient un marché de vente de gravier. Plusieurs tas, amassés dans un désordre parfait attendent les entrepreneurs du bâtiment. Une voiture bâchée arrive. Le petit-fils de Yérima et les deux garçons de Maman Boni accourent avec leur bassine sur la tête remplie de graviers et le corps couvent d’une poussière blanchâtre.
« Nous vendons la bassine de gravier à 150 francs CFA. Et le tonneau de gravier à 1.500 francs CFA (2,5 euros) pour les acheteurs » confie Yérima qui s’empresse d’aller chercher son tonneau rempli de gravier soigneusement mis à l’abri depuis le début de l’après-midi. « Je peux gagner entre 20 000 et 25 000 francs CFA (30 et 40 euros) par mois. Ce n’est peut-être pas beaucoup mais avec ça, j’arrive à tenir les dépenses de la maison.» Avec toutes les dépenses à faire pour subvenir aux besoins vitaux, l’on se demande si Yérima n’a pas de problèmes financiers. Elle confie qu’elle ne vit pas dans le luxe mais qu’elle n’ose pas se plaindre, « car il y a en a qui vivent pire que moi ».
Yérima est une veuve qui vit avec sa fille et son petit-fils Hamadou. Sa fille est une revendeuse de farine de manioc au bord de la nationale. Elles gardent à deux le foyer et avec ce qu’elles ramènent toutes les deux de leurs activités respectives, le petit Hamadou peut être fier de partager son temps entre l’école et la carrière de pierre. Sa grand-mère rêve d’un avenir meilleur pour lui.